Safety in Learning

Temps de lecture estimé : 11 minutes

Sommes-nous suffisamment en sécurité pour pouvoir apprendre ?

 

Un constat

 

Souvent le samedi ou le dimanche matin, je me rends dans un café proche de mon domicile. C’est le lieu de rencontre et d’échange de tous, un endroit sur les quais, vivant, parfois bruyant certes, mais propre à l’écriture.

Entre les lignes à écrire, mes oreilles glissent d’une conversation à une autre : quel sera le repas à préparer ce midi à la table voisine, l’annonce d’une rupture à une autre et de nombreuses conversations anodines chères à notre quotidien.

 

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Récemment, j’étais assise à côté d’une table d’enseignantes de primaire prenant leurs cafés et échangeant sur leur semaine, sur leurs attentes pédagogiques et surtout sur les difficultés rencontrées. Bien sûr, j’ai été happée par leur conversation dès que j’en ai saisi le sens. Désœuvrée, l’une d’entre elles expliquait le peu de cas de la direction sur certaines problématiques touchant ses élèves. Rien que sur cette semaine, elle avait dû réaliser 4 procédures de signalements pour harcèlement ou agression d’élèves entre eux. Et encore ! Il s’agissait, parait-il d’une petite semaine. Les autres enseignantes présentes acquiesçaient voire sur-enrichissaient ! Pourtant, j’habite dans un quartier en ville ne faisant pas partie des zones prioritaires.

Cette violence, ce manque d’écoute, ce désarroi du corps enseignant m’a forcément touchée et même heurtée. Il ne s’agissait que d’élèves en primaire. J’étais loin encore des violences subies dans les collèges et lycées.

Moi qui prône et forme sur les méthodes pédagogiques, sur des innovations, sur d’autres façons d’apprendre facilement, j’étais à côté de la plaque.

Je me suis alors interrogée. Comment les apprenants de la primaire au lycée peuvent-ils apprendre ; comment peuvent-ils penser à ce que l’enseignant explique ; comment peuvent-ils mobiliser leur attention sur des exercices, sur des réponses quand ils savent ce qui les attend à la récréation, ou à la sortie des cours ou même dans la salle de classe ?

 

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C’est effectivement compliqué.

L’ensemble des traumas subis, de plus en plus nombreux par les jeunes, ce que nous, maintenant adulte, avons subi dans l’environnement scolaire ou universitaire, nous suit et nous poursuit quand nous reprenons le chemin de l’apprentissage en formation continue professionnelle.

C’est ainsi, par ce que j’ai vécu enfant, par ce que mes enfants, les vôtres vivent ou ont vécu que j’ai décidé de réfléchir et de creuser la thématique de la sécurité en apprentissage.

 

Et vous, nous en tant qu’adulte ?

La crise sanitaire a changé nos comportements, nous le constatons chaque jour. Moins de flexibilité, moins de tolérance, moins de gestion de nos émotions. Derrière chaque feu rouge se cache une grossièreté, derrière chaque pas dans la rue, chaque interaction avec l’autre, une forme de violence, d’intrusion négative dans notre quotidien. L’empathie semble disparaitre au profit de l’individualisme poussé à l’extrême : le moi sans argumentation au-delà de sa propre existence semble plus important que le bon sens commun. Alors qu’en est-il en formation ?

Mes collègues, confrères et consœurs me parlent d’un retour en arrière dans les pratiques, qu’ils constatent nettement depuis un semestre. Un retour en arrière qui pourrait nous faire perdre le peu d’avancées obtenues ces deux dernières années (pourtant nous sommes encore tellement loin en termes d’avancées pédagogiques notables…).

L’andragogie n’est certes pas la pédagogie, même si nous pouvons retrouver plusieurs points communs dans les processus d’apprentissage. L’adulte n’est pas un enfant en formation. Ses besoins, ses attentes, ses fonctions cognitives et conatives sont différentes.

En creusant, je me suis rapidement aperçue que peu d’articles existent en France sur cette thématique en dehors de ceux en psychologie cognitive et la fameuse pyramide de Maslow reprise un peu trop souvent. Peut-être partons-nous du constat que la sécurité dans les apprentissages certes essentielle, est déjà présente. Donc personne n’en fait cas.

Notre sujet apparait alors bien plus vaste que de le traiter uniquement sous le prisme de la psychologie cognitive.

C’est pour cela que l’équipe laets’mind a poursuivi ses recherches à travers des articles anglais et américains, des pistes de compréhension et de résolution sur cette thématique que je nommerai : Sécuriser l’apprentissage

 

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Qu’est-ce que la sécurisation de l’apprentissage ?

 

La sécurisation de l’apprentissage, en anglais : safety in learning est d’ores et déjà mentionnée par Knowles dans les années 70 (sacré Knowles père de nombreuses avancées !) et reprise ensuite par plusieurs sociologues, psychologues et pédagogues.

En résumé, revenir sur ses représentation et ses croyances lors de l’apprentissage peut fragiliser. Pour apprendre nous avons besoin de satisfaire un de nos besoins primaire qu’est celui de la sécurité. Toutefois la sécurité ne s’entend pas, dans ce cas, uniquement dans le contexte de la sécurité du corps dans un espace.

Il s’agit alors de ma sécurité en tant qu’individu dans son intégralité afin de me sentir à l’aise, pour interagir avec d’autres, pour exprimer mes idées, pour me sentir en confiance pour me transformer ou m’accomplir.

Il existe alors plusieurs axes liés à cette notion liée à la sécurité en apprentissage :

  • Être en sécurité vis à vis de moi-même. Comment je gère mes angoisses, mes traumatismes liés à ma scolarité passée qui remontent alors et font volte-face en formation continue ? Comment gérer mon image, mes émotions ? Cet aspect est encore plus prégnant en animation en classe virtuelle. À tous ceux et celles qui souhaitent que l’ensemble des participants laissent leur caméra ouverte en permanence, il est nécessaire de se poser la question : êtes-vous sûrs que vos apprenants sont en sécurité par rapport à leur propre image et à leur environnement transmis et visible par tous les autres participants ? Des recherches aux Etats-Unis ont d’ores et déjà prouvé que ce n’est pas le cas et qu’il s’agit d’un frein majeur à l’apprentissage (pour en savoir plus je vous laisse découvrir plus en avant cette thématique sur notre podcast dédié à l’animation en classe virtuelle.).
  • Être en sécurité vis à vis des autres, du groupe. Vais-je me sentir suffisamment en confiance pour donner mon avis, pour partager mes idées, pour créer des relations de pair à pair propices à l’apprentissage. Vais-je obtenir des relations positives avec d’autres et sans jugement, vais-je pouvoir aisément contribuer ainsi aux échanges ?
  • Être en sécurité vis à vis du formateur.trice. Le formateur ou la formatrice va-t-il.elle instaurer un cadre sécurisant pour tous ? Qu’en est-il des évaluations, des annotations, des remarques orales et écrites, des méthodes d’apprentissage proposées, des techniques et méthodes pédagogiques employées ?
  • Être en sécurité dans l’environnement de formation. Nous touchons ici un point des plus sensibles. Combien de salles de formation sont-elles des espaces de formation tels que peut les décrire Thierry Picq dans son ouvrage « Penser, travailler et apprendre autrement. Les nouveaux espaces de travail » ou Marie-Christine LLORCA dans « Innover en formation avec les multimodalités » et non des salles de cours avec des tables et chaises reprenant en tous points, l’environnement scolaire ou encore des salles mixtes : réunion/formation. Comment cet environnement physique ou virtuel (en animation en classe virtuelle) contribue-t-il ou non à nos apprentissages ?

Au fil des lectures et des retours sur nos propres expériences en tant que formatrices et ingénieures pédagogiques, nous avons découvert des leviers pensés et exploités par d’autres, qui je dois le dire, ont, pour la plupart été dirigés ensuite vers le management d’équipe ; plutôt que de poursuivre les recherches en formation pour adultes…

Toutefois, nous pouvons en tirer quelques pistes opérationnelles que je développerai dans un prochain article.

 

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Les étapes de « sécurité » psychologique à franchir pour apprendre

 

Timothy R. Clark dans son ouvrage « The 4 Stages of Psychological Safety » retranscrit 4 étapes progressives et obligatoires :

  1. Inclusion safety
  2. Learner safety
  3. Contributor safety
  4. Challenger safety

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The 4 stages of psychological Safety – defining the Path to Inclusion and Innovation- Edition : Read how to want- 2020

 

Stage 1 : Introduction

 

Cette première étape est obligatoire, tout comme les autres, avant de passer à la suivante. En résumé, et même si Clark s’oriente rapidement sur le management d’équipe, l’inclusion est le point de départ : la sécurité dans le fait que je vais pouvoir avoir une relation d’humain à humain sans jugement. Ce vaste sujet reprend d’ailleurs la notion de supériorité ou d’infériorité que l’on peut connaitre lors de l’animation d’un groupe entre les stagiaires eux-mêmes. Comment traiter l’autre et pourquoi ? Quelle est mon assertivité et celle des autres ?

Stage 2 : Learner Safety

 

C’est le passage du statut de la personne (de ce qu’elle est d’un point de vue factuel) aux besoins de la personne. C’est là que l’andragogie prend également tout son sens.

Combien d’enfants, d’étudiants excellents à l’école connaissez-vous qui souffrent dans leurs émotions en permanence ?

Se focaliser sur les besoins, les expériences et les acquis quels qu’ils soient de chaque personne, sont alors des éléments essentiels à la sécurité en apprentissage.

Clark aborde également l’environnement d’apprentissage qui doit être un lieu d’apprentissage pour être plus apprenant, plus réflexif, permettant de sortir psychologiquement des schémas et des croyances que nous avons en tant qu’adulte en formation.

Stage 3 : Contributor Safety

 

C’est le passage de l’apprentissage à la mise en œuvre effective, de la capacité acquise à la compétence éprouvée en toute confiance : « let me do it ».

5 éléments sont mis en exergue :

  • La motivation : l’envie d’agir, de faire.
  • La volition (concept vu dans le podcast lié à l’andragogie !): le choix de le faire pour soi.
  • La cognition : le process mental de l’apprentissage réalisé.
  • L’émotion : les différentes émotions ressenties et éprouvées en toute conscience.
  • L’appréhension : être conscient de soi et ce qui est réalisé par soi même.

Stage 4 : Challenger Safety

 

L’étape 4 reprend nos capacités individuelles et notre neuroplasticité, la réflexivité sur ce qui est entrepris, fait et réalisé en toute conscience. Je sais que je sais ou que je sais faire ou je sais que je ne sais peut-être pas, qu’il me manque, que j’ai besoin de…

Pour conclure

 

À l’heure de l’IA en pédagogie et du nombre de posts sur Linkedin écrits sur cette thématique ; sans parler de tous ceux qui s’improvisent experts du jour au lendemain dans ce domaine et dans celui de la pédagogie et de l’andragogie (mais c’est un autre sujet) ; ne devrions-nous pas orienter notre pensée et notre réflexion sur le socle, la base de l’apprentissage ?

Avant d’entrer en formation, ne devons-nous par prévoir un sas, véritable module construit pédagogiquement pour les apprenants afin de les préparer à entrer en formation, ne devons-nous pas construire d’autres modules transverses tout au long de notre formation pour valider une à une, les 4 étapes de Clark ?

À l’inverse, devons-nous poursuivre des formations sans préparation de chacun à l’apprentissage, partant du principe que cela va de soi, et que chacun est apte à apprendre en toute circonstance et quelles que soient ses expériences passées ?

N’est-il pas alors nécessaire d’investir dans cette préparation ainsi que dans l’espace physique ou virtuel de formation proposée ?

Finalement, se former quel que soit le sujet, ne revient-il pas à se développer et poursuivre l’apprentissage de soi et des autres ?

 

À suivre…

Auteur / AuTRICE de l'article :

Laetitia Flye
Fondatrice et dirigeante de laet'smind depuis 2013. J'accompagne les entreprises et organisations dans la gestion de la compétence, ou comment apprendre autrement et facilement.

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